Coran et Évangile : les proximités oubliées de deux messages célestes,
Par Youssef Seddik (Philosophe et anthropologue).
Publié le 22 septembre 2006, in le figaro
L'islam, ultime moment de la révolution monothéiste proclamée par ce «sacré» Mésopotamien nommé Abraham préoccupe aujourd'hui le monde comme jamais sans doute une religion ne l'a fait. L'islam a reconnu pleinement les deux autres moments du même credo, et repris l'essentiel des principes et des symboles du judaïsme et du christianisme.
Car, s'exclut de l'islam, et sans appel ni pardon, celui ou celle, parmi les musulmans, qui rejette Moïse et la Torah, «bonne guidance et lumière» (Coran V, 44), ou qui ne vénère l'Évangile et Jésus, «Verbe procédant de Dieu» (III, 45 et XIX, 34). Difficile de reconnaître sans troubles un «Autre» aussi semblable !
C'est le christianisme surtout qui n'a pu supporter une telle prétention de l'islam à le conserver tout en le dépassant. Le judaïsme a pris acte qu'aucune des deux autres expressions du monothéisme ne lui conteste la gloire de l'aînesse et de la garde de la «vieille Demeure».
Rien donc dans la parole fondatrice de l'islam ne justifie une inimitié si tenace transmise de pape en pape et d'un monarque à son héritier comme le témoin d'un long relais jusqu'aux «petites têtes blondes» dans les écoles de la République. Rien que ce refus catégorique dans le Coran de la lecture partisane du legs de Jésus érigée en dogme un jour de l'an 325 à Nicée, là où le bon vouloir de l'empereur Constantin a pu imposer dans un concile tumultueux la doctrine de la filiation divine de Jésus et celle de la Trinité.
Pourtant les chefs d'Église depuis ceux qui ont levé les Croisades jusqu'à Benoît XVI n'ont rien trouvé de mieux pour voiler leur embarras devant cette proximité entre l'islam et l'enseignement originel de l'Évangile que d'entretenir et d'approfondir la faille entre ces deux credo. Il est grand temps, il est urgent que les dignitaires et les «décideurs» du christianisme cessent de mettre en avant une construction historique chargée de parti pris, de haine et de rémanence guerrière et s'accrochent à cette parenté entre les deux messages célestes.
Seulement les musulmans eux-mêmes, leurs doctrinaires et les instances de pouvoir qui ont commandé depuis toujours d'une même main le théologique et le politique ont fait que l'islam historique demeure incapable de convaincre de son universalité et de sa réelle capacité à voisiner dans la paix et l'échange avec d'autres visions du monde.
En ce jour, on se prépare à un grand rite de l'islam, le jeûne de Ramadan, il est utile peut-être d'expliquer à cette occasion l'une des raisons majeures de cette incapacité.
L'islam historique a en effet surdéterminé l'attachement au rituel aux dépens d'une élévation spirituelle très présente pourtant dans le Texte fondateur, oubliée toutefois dans une excessive «talmudisation» qui donne au geste cérémonial une prépondérance indue sur l'acte intime et silencieux de la foi.
Rares en effet les fidèles partout dans le monde islamique qui savent (ou admettent quand ils savent) que cette notion des «cinq piliers de l'islam» n'est formulée nulle part dans le Coran.
Prenons ces piliers rapidement un à un. Le premier dans l'ordre de l'énumération comme dans celui de la foi, («attester qu'il n'y a de dieu que Dieu...»), est par excellence de l'ordre de l'intime et du silence ; le dernier celui du pèlerinage à La Mecque ne concerne que les fidèles qui auraient les moyens économiques et physiques de s'en acquitter.
Le deuxième, celui de la prière quotidienne, n'est nulle part codifié en cinq prières rigoureusement situées dans la journée, alors que les ablutions qui précédent toute prière sont méticuleusement détaillées.
Le troisième, le devoir d'aumône, est prescrit sans aucune précision d'un pourcentage ou de la nature des biens sujets au prélèvement.
Reste le jeûne de Ramadan : un premier texte parle seulement d'«un jeûne prescrit pour des jours comptés comme il a été prescrit à d'autres peuples avant vous» (II, 183), puis étrangement donne le choix aux croyants aptes de jeûner ou de nourrir un pauvre : «pour ceux qui y sont aptes, offrir à la place repas à un pauvre» (II, 184). Une dérogation aussi explicite a été ignorée dans la construction tardive du rituel et y avoir recours est considéré à présent comme un grave manquement.
Après l'exposé d'une véritable «philosophie» du jeûne, le Coran poursuit en nommant enfin le mois d'abstinence assigné aux musulmans : «Le mois de Ramadan au cours duquel le Coran a été révélé comme guidance pour les Hommes, Miséricorde et preuves claires de la bonne direction et du discernement. Qui d'entre vous sera témoin de la lunaison, qu'il jeûne le mois» (II, 185).
Une lecture seulement «ritualiste» de ce verset a prévalu, qui rature cette connexion entre le mois du jeûne et une référence à la révélation du Coran. Or c'est cette même connexion qui donne à la prescription du jeûne un tout autre sens et justifie que l'on puisse y déroger en donnant à manger à un pauvre comme il a été dit précédemment.
De cette corrélation entre la révélation et le mois du jeûne nous devons entendre qu'il nous est recommandé d'écouter dans la sérénité et le silence cette parole qui nous arrive droit de la Transcendance. S'abstenir de manger, de boire ou de pratiquer l'acte sexuel devient alors tellement secondaire !
C'est ainsi d'ailleurs qu'à la Vierge Marie il a été recommandé dans ce même Coran de recourir à un jeûne (le même mot sawm, utilisé pour désigner l'abstinence au mois de Ramadan) pour expliquer son enfantement miraculeux, un jeûne qui n'a rien d'alimentaire et dont Marie a parlé ainsi : «J'ai voué au Miséricordieux un jeûne si bien qu'à nul humain je n'adresserai la parole.» (XIX, 26)
Derniers ouvrages : Nous n'avons jamais lu le Coran (2005) et Qui sont les barbares ? (2006) aux Éditions de L'Aube. En collaboration avec le cardinal Olivier de Béranger et le grand rabbin René-Samuel Sirat : Torah, Bible et Coran : Regards croisés (à paraître en décembre 2006) aux Éditions Bayard Presses.
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