mercredi, novembre 01, 2006

Le besoin de rites funéraires

LE MONDE 31.10.06

"On la confond avec la fête des Morts, qui la suit de vingt-quatre heures. Pour tous, croyants ou non, la Toussaint, fête chômée, est devenue le moment privilégié de l'année pour se consacrer aux êtres disparus.

Un respect de la tradition qui ne faiblit pas : selon un sondage réalisé en octobre par l'institut TNS-Sofres pour le réseau français Le Choix funéraire, les deux tiers des Français célèbrent ce jour-là le souvenir de leurs défunts.

Manière de compenser le déclin des rites mortuaires qui, dans nos sociétés occidentales, accompagne celui de la religion ? Les psychologues comme les professionnels des services funéraires sont en tout cas unanimes : lorsque la cérémonie des obsèques ne remplit pas son rôle, le désarroi des familles, plusieurs années après, en demeure vivace.

Plus que jamais, l'accompagnement social de la mort et du deuil est nécessaire. Ce qui implique d'inventer d'autres funérailles, plus civiles que religieuses. Et de s'interroger sur les choix que pose pour les familles la pratique de la crémation, qui gagne lentement mais sûrement les faveurs du public. De 10,5 % en 1995, le taux national de crémation en France concerne aujourd'hui 25 % des décès.

Si l'image des entreprises de pompes funèbres reste trouble - selon ce même sondage TNS-Sofres, 43 % des Français estiment qu'elles "font passer l'éthique de leur métier avant tout", mais la même proportion pensent qu'au contraire elles placent en priorité "la nécessité du profit économique" -, les attentes vis-à-vis de leurs services sont fortes. Et, de fait, c'est à elles que revient l'accueil des familles en deuil et l'organisation des cérémonies.

LIBÉRER LA PAROLE

"Nous ne sommes pas seulement des professionnels du service funéraire. Nous sommes là aussi pour écouter et rassurer", soulignait ainsi Marie-Claude Cheramy, directrice générale des Pompes funèbres intercommunales de l'agglomération tourangelle, qui intervenait à Tours, le 10 octobre, lors d'une conférence-débat sur le deuil organisée à l'initiative de la mutuelle nationale spécialisée dans la prévoyance des obsèques. Insistant sur la manière d'accueillir les membres de la famille pour l'aider à "choisir ce qui est proche de ce qu'aimait le défunt, de ses souhaits, en prenant le temps de sentir et de comprendre ce qu'ils expriment", elle a rappelé combien compte, pour le travail de deuil à venir, la préparation de l'adieu au défunt.

"L'expérience m'a montré que plus les regrets sont vifs chez les endeuillés, plus ils auront du mal à surmonter leur douleur", renchérit Aline Lemesle, géronto-psychologue à Saujon (Charente-Maritime) et animatrice de formations sur l'accompagnement en fin de vie et au deuil.

Dans les familles auprès desquelles elle intervient, elle insiste sur l'intérêt qu'il y a à faire, de son vivant, le bilan de la vie du mourant. "Et lorsque la parole ne s'est pas libérée avant, il est essentiel qu'elle le soit après la mort de celui qui part, et que la famille puisse exprimer son hommage entre le décès et les obsèques", insiste-t-elle. Avec une tendance à la personnalisation des funérailles.

"Les familles souhaitent une cérémonie qui ressemble au défunt, et effectivement, elles participent de plus en plus aux obsèques : prises de parole (poème, petit mot), musique, chansons, présence symbolique d'objets familiers", constate Georges Roux, directeur des Pompes funèbres générales de Nantes dans la revue médicale Pratiques (no 34, juillet 2006, "Autour de la mort, des rites à penser").
Lui aussi insiste sur la nécessité, pour les proches, de ne pas prendre des décisions hâtives. Notamment lorsque le choix va à la crémation, posant le problème, toujours douloureux, du devenir des cendres.

Repartir des obsèques avec l'urne sous le bras est une épreuve dont la plupart des familles se passeraient aisément. Pourtant, cela se déroule souvent ainsi. Soit parce que le défunt a exprimé la volonté que ses cendres soient dispersées en forêt ou en mer, soit parce que ses proches estiment de leur devoir de conserver l'urne auprès d'eux. Un choix que les experts considèrent comme psychologiquement difficile, et souvent peu propice à un véritable travail de deuil.

"Les personnes ne se rendent pas toujours compte du besoin d'avoir un lieu pour se recueillir, d'un lieu de souvenir, remarque Mme Cheramy. Quand on nous demande la dispersion des cendres, nous indiquons qu'il est possible de créer une sépulture." Une position que partage Marie-Frédérique Bacqué, professeur de psychologie à l'université Louis-Pasteur de Strasbourg et vice-présidente de la Société de thanatologie (étude des aspects biologiques et sociologiques de la mort).

"Pour limiter les difficultés psychologiques dues à la perte d'un être cher, il est souhaitable que le social prenne en charge ce qui subsiste du défunt, estime-t-elle. Et donc que les restes de la crémation ne demeurent pas dans les familles." Jardin du souvenir (il en existe désormais dans les cimetières de la plupart des grandes communes), dépôt de l'urne au columbarium, dans un caveau familial ou dans une mini-tombe : de nombreuses possibilités sont désormais offertes aux endeuillés. "
Catherine Vincent